Coming-out linguistique.
Il y a, parfois, des jours
pénibles, fatigants. Ce genre de jour où même un Tiramisu Carrefour Discount
suffirait à vous rendre saoul. Ce genre de matinée un peu longue où vous
attendez avec impatience de passer sur le grill pour un oral de psychologie de la
relation et de la communication. (Seul cours où l’intitulé est plus long que
votre résumé.) Et dans ce genre de moments suspendus dans le temps, il y a
toujours un voisin agaçant. Celui qui, par exemple, vous plonge dans une
discussion comme celle-ci :
Lui :
« Tu saurais me traduire cette
phrase-ci (de l’anglais)* ? »
Ten seconds later…
Lui : « C’est cool ! T’es balèze quand même !
»
Vous (modeste) : « Gentil mais au bout de six ans, on maîtrise…
»
Lui : « Six ans d’anglais ? Et le néerlandais ?
»
Vous : « Jamais. Enfin, si, deux ans en primaire.
»
Et là, frissons d’horreur, grimaces et moue dubitative de l’interlocuteur. Il a
été biberonné durant six, huit voire dix ans de néerlandais. Pour lui, c’est
naturel d’apprendre la langue de Vondel. Pour moi, c’est plus compliqué que ça.
Avant de tirer la sonnette d’alarme – c’était en vogue il n’y a pas si longtemps - ; asseyez-vous et prenez le temps de noter mes excuses. Oui, excuses, parce qu’il y a bien quelque chose à se reprocher dans cette histoire : ma fainéantise, mon orthographe et surtout le fait d’avoir deux sœurs. (Si, si.)
Année scolaire 2001-2002 ;
Coupe au bol, maillot de football
et basket Power Rangers, je rentre ravie
d’une de mes journées d’école. J’annonce, hystérique, à ma mère que j’ai eu mon
premier cours de néerlandais : Ik ben Camille, ik woon in Bergen, ik heb elf jaar oud. Je n’ai jamais autant étudié que ce soir-là, je pense.
Parce que, honnêtement, je trouvais cela amusant d’apprendre une nouvelle
langue.
Puis, un jour, catastrophe : un travail, un arbre généalogique, me revient coté d’un cinq sur dix. Grosse désillusion : soin, mais aussi quelques fautes d’orthographes bénignes : zusen, au lieu de zussen, par exemple. (Véridique, pour vous dire le choc provoqué par cette copie.)
Dès cet tragique matinée, les cours de néerlandais sont devenus de véritables cauchemars. Démotivée par un malheureux incident de parcours, je ne supportais plus les cours de Mevrouw Donderdag (nous ne l’avions que le jeudi, d’où le nom.) Ainsi, accrochant un triste 50% aux côtés de mes 80-85-95% en mathématiques, français et éveil, je me suis jurée une chose : que plus jamais, le néerlandais n’aurait ma peau.
Ainsi, première secondaire, le choix s’offrait à moi : néerlandais, anglais ? Anglais. Face aux rollmops, les fish’n’chips l’emportèrent haut-la-main. Alignant des résultats honorables, j’étais cataloguée « pote à Shakespeare » : je n’étudiais pas et récoltais de très bons points. (Idéal pour faire enrager les autres camarades. Puis, ça m'a sauvé d'un échec en math.)
Sortie du secondaire, descendue de ma planète Wallonie-anglophone, je me heurte de plus en plus à l’incompréhension : non, je ne parle toujours pas le néerlandais. Or, depuis peu, je complexe. J’aimerai me sentir Belge droite et fière, sincère quand je déclare que le bilinguisme sauvera la peau de cette jeune dame Belgique. Or, quand t’as du mal à orthographier « Sinaasappelsap », ça le fait moyen.
Un peu de conscience, cinq minutes de courage (citoyen, pas politique) et depuis quelques semaines déjà, je potasse mes vieux cours de néerlandais. Je commence à maîtriser l’imparfait ; il y a un début à tout. Ceci dit, je n’oublierai plus jamais que zusssssen, prends deux « S », jamais. En attendant, qu'on supprime les exercices sur les arbres généalogiques, ça fera moins de francophones radicaux.
Pour l’anecdote, Mevrouw Donderdag, je l’ai bien revue. Au cours de mon deuxième stage où je donnais mes premières leçons d’histoire/géographie, douze ans après nos cours du jeudi matin. Malgré les longs cheveux roux (en mars) qui remplaçait la coupe au bol blonde, les lunettes et les cinquante centimètres de plus, elle m’a reconnue. Comme quoi, de nous deux, ce n’était peut-être pas moi la plus traumatisée…